Le retour en Tanzanie, puis la pandémie



"Voyez d’abord à mériter vous-même d’être donneur et instrument du don. Car en vérité, c’est la vie qui donne à la vie  -  alors que vous, qui imaginez être donneurs, n’êtres en réalité que des témoins."

Khalil Gibran


28 octobre 2017

Récemment, j’entendais Mathieu Ricard dire:

« Lorsque je parcours le monde, je vois beaucoup plus de gens qui s’entraident et recherchent la paix que de gens qui sèment la discorde et la haine ». 

Dès notre arrivée, dans un petit bout de ce monde nommé Tanzanie, nous nous sentons tellement minuscules devant la tâche à accomplir qu’on se demande si notre intervention aura une valeur significative. Il est possible que les changements que nous apporterons au niveau de la santé ne seront même pas mesurables tellement ils seront minimes. Toutefois, je suis convaincu que nous quitterons le pays avec le coeur léger et l’âme en paix parce que nous aurons fait parti de ceux qui participent à la Vie. 

Merci Mathieu! Et je te souhaite, comme tu disais l’autre jour, de vivre tes vieux jours en poursuivant ton cheminement spirituel et de mourir dans un ermitage plutôt que dans un aéroport!


31 octobre

Avec calme, lors d’une chirurgie qui se complique, Dr Abubakary sort du tiroir d’instruments un davier (pince pour extraire les dents).

Je ne comprends vraiment pas son choix. Comment pourra-t-il utiliser cet instrument pour rejoindre les racines qui sont demeurées dans l’os de la mâchoire? C’est impossible! Plutôt que de l’utiliser en bouche, il s’en sert pour façonner le vieil élévateur qu’il n’arrivait plus à positionner de la bonne façon. Il le plie, lui donne patiemment la courbe parfaite puis continue. Au début de l’intervention, j’ai chuchoté à l’oreille d’Annabelle, que je ne lui donnais pas une chance sur dix de réussir à extraire toute la dent, en ne laissant pas de fragments de racines dans la mâchoire. Le matériel minimaliste et en mauvais état dont il disposait ne pouvait pas permettre d’y arriver. Au Québec, même un chirurgien d’expérience aurait considéré cette entreprise comme insensée et n’aurait pas pris le risque de s’y aventurer. Le temps passait et je voyais les fragements dentaires s’accumuler sur le plateau. De petite victoire en petite victoire, j’ai vu apparaître les derniers morceau du « puzzle »!


1er novembre 

À l’heure du dîner, nous avons laissé nos sarraus, ordinateur, cartables et autres documents à l’hopital pour nous rendre au petit restaurant sur le bord de la grande route. Il est déjà 13h00 et les plats de service sont presque vides. On grapille ce qu’il reste; ça suffira en attendant le repas du soir. Depuis le début de la semaine, les liens se sont tissés. On se taquine, on rit, on est à l’aise et tous les ingrédients sont dans la marmite pour partager. On le sait bien, les meilleurs échanges se font autour d’une table, en bouffant et en se désaltérant. Certains préfèrent la meilleure eau du monde, la « Kilimanjaro », d’autres sirotent une « Krest Lemon » ou une « Serengeti » (100% malt) . Nous avons échangé sur nos systèmes de santé respectifs, sur l’enseignement de la médecine et de la médecine dentaire, sur les traitements disponibles pour certaines maladies (particulièrement celles transmissibles lors des traitements dentaires)... Abu et Alloy nous ont parlé de leur pays, de leurs habitudes, de leurs besoins, des programmes de prévention pour la population et les professionnels de la santé. Au fil des interventions, je m’aperçevais que nous étions en train d’exécuter de la plus belle façon une de nos formations. Avec une autre «Serengeti» ma conversation anglaise se serait probablement améliorée mais Dominique, le chef d’orchestre, traduisait les commentaires au besoin et orientait la discussion. La confiance et l’intérêt étaient au rendez-vous et chaque participant y était authentique et pleinement présent. Désolé! Terre Sans Frontières et Affaires mondiales Canada n’auront jamais les fiches d’évaluation des participants et ne connaîtront pas l'immense impact que cette formation a eu

Entre autre chose, nous avons appris que la population de la Tanzanie est probablement beaucoup plus infectée par le VIH que ce que nous pensions. Selon les statistiques que nous avons réussi à obtenir avant la mission, 5% de la population serait infectée (quand même dix fois plus qu’au Canada). À Mwanga, où nous intervenons présentement, sur dix patients qui consultent à la clinique dentaire, quatre à cinq d’entre eux sont séropositifs! Alloy me dit que la région où nous nous trouvons se trouve sur un des principaux axes de communication et qu’elle est un lieu d’échanges (toutes sortes d’échanges). Quelle tristesse!


2 novembre

Le jeudi, c’est le jour de marché. Que ce soit pour vendre, acheter ou si vous cherchez quelqu’un à Mwanga, allez à la grande place. Le petit banc à la porte de la clinique dentaire restera probablement vide. Aujourd’hui les nécessités de la vie feront oublier la douleur.

Qu'est-ce que c’est? Peut-on y goûter?



Une soupe aux bananes… Réputée pour fortifier les enfants et les femmes enceintes. Honnêtement, c’est délicieux!



Besoin de sandales? Michelin, Dunlop ou Good Year?




Vous cherchez une lampe au kérozène qui peut vous péter dans la face?
On a tout ce que vous cherchez!
Vous n’avez pas trouvé?
Si ça existait, on l’aurait!




3 novembre

Week-end! 

Nous quittons l’Anjela Inn Hotel de Mwanga pour revenir «en ville», à Moshi. Nous remettons 10000 TSH à un jeune homme, membre du personnel et 5000 TSH à sa collègue. L’égalité des sexes est un des principaux axes d’intervention dont nous devons tenir compte dans nos interventions (tels que définis par Affaires mondiales Canada)! Ne croyez pas que nous avons été inéquitables et que nous bafouons les principes auxquels nous avons avons adhéré. Laissez-moi vous expliquer. 

Depuis le début de la semaine, ce n’est pas parce que nous avons un lavabo, une toilette et une douche que nous devons nécessairement associer ces installations à un quelconque approvisionnement en eau. Nos espoirs de nous décrasser et nous laver les mains après avoir chié ont été plus souvent qu’autrement déçus. Comme dernier recours, nous avons soudoyé le jeune homme en question (la seule personne qui nous semble capable d’ouvrir les vannes du réservoir), dans l'espoir d'obtenir la précieuse ressource à notre retour.

Bravo!

La gouvernance* sera donc un des autres axes d’intervention sur lesquels nous allons travailler lors de notre séjour! 

*La gouvernance est la mise en oeuvre d’un ensemble de dispositifs (règles, normes, protocoles, conventions, contrats…) pour assurer une meilleure coordination des parties prenantes d’une organisation, chacune détenant une parcelle de pouvoir, afin de prendre des décisions consensuelles et de lancer des actions concertées. On peut se douter que ça laisse peu de place à la corruption… 

On essaiera de faire mieux la semaine prochaine, en souhaitant qu’au- delà de ces grands principes, les Tanzaniens puissent garder leurs dents! 

Quelques faits marquants de la semaine:

Si l’eau ne vient pas à toi, ben, débrouille-toi pour en trouver!



Les frites aux oeufs: bien mélanger et retourner plusieurs fois dans l’huile.
Quand tu reviens au Québec, tu te mets à la diète avec de la poutine!



Et un dernier clin d’oeil!



6 novembre

J’étais en présence du Dr Abubakary et de sa patiente. Nous discutions du cas clinique et j’entends un cri de détresse venant de la salle de stérilisation… 

« Une araignée, une araignée! » 

En poursuivant ma discussion sur le diagnostic et les options thérapeutiques, je me disais: 

« Ben, tue-la et ça va être réglé! » 

La porte s’ouvre… 

Au premier plan, Dr Abubakary, et la chaise dentaire. 

En arrière plan, je vois Annabelle surgir de la minuscule pièce de stérilisation qui est attenante à la salle de traitement. Un coup de vent! Les meubles et autres accessoires sont déplacés. Du coin de l’oeil, je vois le spécimen. Grand comme ma main! 



Vous connaissez Dominique, toujours là pour aider. Elle enfile une paire de gants de latex et se dirige vers l’animal! Veut-elle réintégrer l’intrus dans son habitat naturel? J’entends: « NOOOOOOO!!! » C’est le Dr Kabwe qui, habituellement silencieux et effacé, crie de l’autre côté de la salle de traitements. Il se précipite, saisit un bâton, entre dans la pièce de stérilisation et pourchasse la bête.

Elle n’a eu aucune chance. 

Dr Kabwe informe Dominique que la piqûre de cette araignée est dangereuse. Dangereuse comment? On ne veut pas le savoir! 


7 novembre 

C’est bien connu, les grands et les petits papoutes, ont l’habitude de se mettre à l’abri des intempéries. Ces derniers jours, il a beaucoup plu, c’est pourquoi plusieurs petits êtres en profitent pour nous rejoindre.

En remuant nos sacs à notre arrivée à la clinique, nous avons surpris un autre visiteur. Alerte rouge! Super Kabwe est appelé. Mobilier, sacs et accessoires sont déplacés. Le spécimen n’a eu aucune chance.



Nous fouillons les sacs avec précaution en inspectant chaque item pendant que Kabwe balaie et lave le plancher.




Avant d’arriver ce matin, nous nous demandions quelle surprise cette nouvelle journée allait nous offrir. Eh bien! Ça n’a pas tardé!



Au retour à l’Anjela Hotel à la fin de la journée, nous avions déjà oublié ce léger contretemps parce que nous avons eu une journée très profitable avec "Super Dentist" Kabwe.

Nous tenons à remercier la compagnie Gum Sunstar qui nous a fourni plus de 700 brosses à dents, lesquelles seront remises aux enfants lors de nos interventions dans les écoles. Demain!




8 novembre

Après un court « African Massage* » nous arrivons à l’école primaire de Mwanga. 

Les enfants nous accueillent et nous débarassent des lourds sacs qui contiennent notre matériel et les brosses à dents. Nous rencontrons le directeur, signons les registres (habitude bien ancrée en Tanzanie), et discutons de notre projet. 

Nous devons rencontrer les professeurs pour qu’ils puissent apprendre les principes et les techniques nécessaire afin qu’ils puissent superviser le brossage dentaire de leurs élèves.

*Expression locale. L’ «African Massage» est le résultat de l'utilisation d'un véhicule moteur sur une route fortement dégradée. Tout le corps (et particulièrement les chaires molles) participent à cette activité.

Dr Kabwe nous fait une extraordinaire démonstration de ses connaissances et de ses compétences. Quel talent! Communication 10/10; dessin ?/10.



Même Nicholaus participe à l’exposé.



Connaissez-vous la « Hand Washing Dance »?



L’auditoire est en liesse!!! Comme vous pouvez le constater, tous se sont levés et dansent!

Dubitatif.

Nos experts abordent maintenant l’essentiel, le vif du sujet, la moelle de leur exposé:



Une technique révolutionnaire d’hygiène dentaire à deux brosses!

Je pense que nous manquions un peu de préparation!




Merci Kabwe…

Merci à Karavaniers (voyages de plein air et d’aventures) pour nous avoir fourni les solides sacs qui nous ont servi à transporter le matériel dentaire.




11 novembre

Minou! Minou! (Parc national du Ngorongoro)




13 novembre

Un policier nous fait signe de nous ranger sur le bord de la chaussée. Nicholaus, homme de peu de mots, regarde l’agent qui lui indique quelque chose sur l’écran de son téléphone. Il descend lentement du camion. Cinq minutes plus tard, il revient, démarre la véhicule et reprend la route. 

Nous lui demandons: « Combien ça a coûté? »  

« Rien, c’est un de mes anciens étudiants. »


15 novembre 

Nous sommes à Usangi depuis trois jours. 

Un certain défi nous attend… Un défi certain! 

Ce n’est plus tout à fait ce que nous avons vu au mois de juillet 2016. Le dentiste le plus qualifié est parti. Les équipements n’ont pas été entretenus adéquatement. Les maigres ressources matérielles sont pour ainsi dire épuisées. 

Le thermomètre du stérilisateur, qu’ils croyaient gradué en °C, est en réalité gradué en Farenheit! Ils « stérilisaient » les instruments dentaires à 170 °F au lieu de 170 °C… 

On nous a confirmé que le nombre de gens infectés par le VIH (et autres infections opportunistes) est étonnamment élevé. Est-ce que le dentiste contribuerait lui aussi à infecter la population? Depuis quand? J’ai tout à coup un frisson, un étourdissement. Je n’ai jamais eu la prétention ni même pensé qu’une intervention comme la nôtre pourrait sauver des vies. Eh bien! C’est un début!


Toute cette nature que nous avons vue la fin de semaine dernière au parc national de Tarangire, au Lac Manyara et au parc national du Ngorongoro pourra-t elle nous inspirer à… 

Être aussi ingénieux que le singe bleu. 

Aussi impassible que l’hippopotame. 

Être à la hauteur de la situation comme la girafe. 

Former une équipe efficace comme les mangoustes. 

Être patient comme le lion. 

Être vigilant comme le zèbre. 

Ne pas faire l’autruche. 

…Et, si possible, voir la vie en rose comme les flamands!

P.S. Prochaine intervention: Sécurité Sans Frontières!




17 novembre

C'est l'événement de remerciement et de reconnaissance.



Nous accueillons plusieurs intervenants tanzaniens: professionnels de la santé, enseignants, responsables du système de santé et travailleurs communautaires… Et un journaliste. Nicholaus et Sophie accueillent les participants et présentent notre projet.

Valeria, travailleuse sociale dédiée à l’égalité hommes femmes, profite de cette petite fête pour passer tout un savon aux hommes! Ils baissent le regard, se dandinent puis se prostrent! Ensuite, elle interpelle les femmes:

« Et toi, dans ta maison, acceptes-tu que ton homme reste assis pendant que tu prépares le repas et prends soin des bêtes? »  

Malaise. Un beau malaise car tous sont d’accord. La société tanzanienne est en transition « Hakuna matata ».


« Dis-moi en quoi les hommes et les femmes sont différents? » Malaise



Et quoi de mieux qu’un bon repas pour fraterniser!



20 novembre

Nous montons une dernière fois les Monts Pare pour atteindre Usangi. Nous savons que les derniers jours de notre intervention seront difficiles parce qu’imprévisibles. Heureusement que nous sommes tous les trois bien préparés et que nous avons la capacité de nous adapter rapidement. Dans ces conditions changeantes, seulement un regard, quelques mots suffisent... C’est peut-être ça le « field » qui unit parfois les gens? 

Le petit milieu professionnel privilégié que j’ai définitivement quitté le 11 février 2015 m’a fait connaître des choses exceptionnelles. Toutefois, le SIDA et ses manifestations cliniques ne me sont apparus que sur les pages de mes gros livres et des nombreux articles scientifiques qui ont paru sur le sujet. Cette réalité appartenait aux autres. Je suis présentement chez ces autres... 

Ce matin, un petit homme d’âge moyen se présente. Il est maigre, vêtu d’une chemise pâle, d’un pantalon et d’un veston noir. Il est silencieux, calme, réservé; son regard est plein de bonté. La douleur l’empêche de bien se nourrir. Il ne peut prendre que des aliments mous. Il se laisse examiner. Il a confiance. Peut-être que la présence du visage blanc lui donne espoir. Sur les deux côtés de sa langue il y a quelque chose d’étrange, quelque chose qui ne guérit pas depuis plus de six mois. Dr Chaile m’informe qu’il est séropositif. Et oui, son visage sort de la page de mon «textbook». C’est une forme de cancer buccal qui apparaît dans les stades avancés de la maladie. 

En Amérique, plusieurs traitements aussi sophistiqués que coûteux peuvent ralentir le processus de cette maladie et soulager le patient. Mais ici, que pouvons-nous faire? 

Nous préparons le document pour le référer au centre hospitalier de Moshi. 

Est-ce que ça lui permettra d’avoir un traitement adéquat? 

Est-ce qu’on souhaite lui donner espoir? En quoi? 

D’autres auront la tâche ingrate de lui dire qu’il va mourir. 

Peut-être le sait-il déjà. Je crois qu’il veut simplement ne plus avoir mal en mangeant. 


22 novembre 

La nuit est noire, particulièrement noire. Le réseau électrique est en panne. Les quelques rares étincelles éparpillées dans la montagne sont disparues. Le ciel scintille entre deux nuages. On aperçoit les constellations du Sud, celles que nous n’avons jamais vues. 

Hou, hou _______Hou, hou _Hou, hou! Une chouette! Puis deux, trois peut-être... 

Sommeil calme, sommeil profond… Puis les chiens, pourtant si discrets le jour, aboient, hurlent. Les cocqs prennent la relève pour appeler le jour puis c’est le muezzin qui invite les musulmans aux ablutions matinales. Je commence à voir le filet qui recouvre notre lit. Les oiseaux se répondent, sifflent toutes sortes de chants; certains sont longs et mélodieux. Une moto passe dans la rue. Puis, de très loin, on entend descendre un gros véhicule que des décennies de mauvais traitements ont transformé en tas de ferraille. Va-t-il retenir tous ses morceaux? La télévision de la salle à manger se réveille comme elle s’est endormie, à tue-tête! Prochaine mission: Audioprothésistes sans Frontières! 

De mon balcon, je vois les enfants qui se dirigent vers l’école. Les gamins sont tous pareils! Ils se bousculent, sortent un ballon, courent. Les filles, plus discrètes, chuchotent en petits groupes. Celle-là, qu’a-t-elle dans les mains? On accourt, elle partage sa collation. La pluie tombe, verticale, dense, sans un souffle de vent. Un bruissement dans les feuilles des grands arbres et un ronflement sur les toits de tôle. Est-ce qu’on pourra compléter notre projet à la petite école primaire, celle qu’on voit d’ici, dans la montagne? Les enseignants nous attendent pour superviser le brossage dentaire des enfants. Nicholaus préfère ne pas s’aventurer sur la route. La terre rouge, devenue glissante, s’est transformée en bourbier à certains endroits. Dommage, c’était un des principaux objectifs de notre intervention… 

Ici, tous composent avec la vie, acceptent ce qui est, s’adaptent ou se résignent. On fait pareil. 


25 novembre, Merci! 

Le soleil n’est pas encore levé. Dominique et moi sommes pour ainsi dire seuls le long d'un canal, à Amsterdam. Il fait froid, c’est humide. Quel contraste! Nous nous réchauffons avec un bon cappuccino. Les quelques autres clients fument. Ils respectent le règlement de l’établissement: « défense de fumer du tabac »! 

Notre intervention est bel et bien terminée!  

Merci à tous ceux qui y ont participé: 

Danielle Bédard pour avoir confectionné les pochettes pour les instruments dentaires. 

Francine Gagnon, hygiéniste dentaire, pour nous avoir donné de précieux conseils, matériel didactique et pour nous avoir prêté ses dents et sa brosse! 

Francine Gagnon (une autre), de la compagnie Sunstar (Gum) pour nous avoir fourni les brosses à dents. 

Christine Plaisant de Karavaniers (voyages dits « d’aventures ») pour nous avoir fourni des sacs pour le transport du matériel dentaire. 

Dr Jean Thibeault pour nous avoir partagé ses connaissances. 

Louis Turgeon pour avoir fabriqué des blocs de sécurité pour recapsuler les seringues sans se piquer. 

Merci à tous ceux qui ont facilité notre séjour: André C., Danielle B., Johane C., Louis N., Lucie M., Michel R. 



Asante sana!


Épilogue (12 avril 2020, jour de Pâques, la pandémie est à ses débuts)

Je me rappelle du 30 octobre 2017, Nicholaus nous a présenté son père.  95 ans...


Il n'entend plus très bien mais pour les reste, ça va. Nicholaus lui remet quelques effets. Son frère va également passer plus tard dans la journée. Tous veillent à ce que leur père ne manque de rien. Les grands enfants de Nicholaus sont bien occupés. Les deux garçons étudient à l'université de Dar es Salam, à plus de 500 kilomètres. Leur cadette étudie pour le moment à quelques kilomètres. Malgré leurs études et la distance, ils prennent tous soin de leur grand père. Ils font les commissions, apportent l’aide nécessaire et surtout ils sont présents, très présents. Souvent, ils couchent là, dans leur deuxième demeure.

Il y a un an, les deux grands garçons de Nicholaus ont soupé avec leurs grands parents. Ils ont fait la prière du soir et sont revenus à la maison. Ils apprennent le lendemain que leur grand mère est morte. Elle est morte le ventre plein mais le cœur bien rassasié aussi.

Chez nous au Québec, contrairement à la Tanzanie, le développement et le progrès ont été les frères de l'efficacité. Notre richesse nous a permis de mettre en place des institutions performantes. Cet élan de la révolution tranquille et de la modernité s'est toutefois émoussé avec le temps. La réalité nous rattrape et pourtant, on essaie de remplir nos promesses.



« Tu seras bien Maman. Tu ne manqueras de rien. »

Avez-vous déjà essayé de vous boucher en même temps les yeux et les oreilles avec vos deux mains? C'est difficile mais on y arrive.

Depuis quelques années, on nie et peut-être on est devenus insensibles à l'évidence que nos aînés ne font plus partie de nos priorités. Ça devient l'aîné d'un système.

On paie, ça va bien aller.

L'alternative nous fait peur.

« Tu seras bien Maman. Tu ne manqueras de rien. »

Ça se peut qu'on y arrive, maman. Tu mourras probablement dans un lit propre, le ventre plein. Mais tu n'auras pas eu la chance de la mère de Nicholaus.




Vendredi 24 avril 2020

Arrivée à Montréal



Samedi 25 avril

Nous avons été assignés à un CHSLD de Montréal-Nord (Champlain Marie-Victorin). Officiellement, dans cet établissement, 15% des usagers sont COVID+.

À l'entrée, on prend notre température à l'aide d'un thermomètre frontal et on nous remet un masque et une visière. Dominique et moi sommes envoyés à l'unité prothétique. C'est un lieux protégé dont les accès sont contrôlés; les résidents peuvent y circuler librement plutôt que d’être isolés ou en contention (physique ou médicamenteuse). On y retrouve principalement des gens souffrant de la maladie d'Alzheimer.

L'épidémie a pris son origine dans cette unité et il est facile de comprendre que rapidement, tous les résidents ont été infectés. Trois d'entre eux sont déjà décédés.


Ce qu'on remarque à notre arrivée c'est qu'on n'est évidemment pas au tiers monde. Le personnel est adéquat, les locaux sont propres. Un concierge passe plusieurs fois par jour. Dans la section où nous sommes, l'hygiène se fait tous les jours, les lits sont propres. C'est certain que ça ne ressemble pas à un camp de vacances. Ce qui est triste c'est la maladie d'Alzheimer. Les soignants sont attentionnés, plein de bienveillance. Ce après-midi, la concierge a posé son balais. Elle s'appelle Julie. Elle s'est assise à côté de Madame F... . Elle lui a demandé qui avait fait ses tresses ce matin, si elle avait bien mangé. Elle a dit qu'elle repasserait ce soir.


Réunion de fin de journée.

Il y a beaucoup de bonne volonté et d'énergie positive pour faire face au défi des prochaines semaines. Sans vouloir blesser ou dénigrer personne, il semble déjà évident que les compétences manquent cruellement pour trouver et appliquer des solutions adéquates. La configuration de l'édifice ne permet pas d'isoler efficacement les patients infectés des autres résidents. Des toiles de polythène ont été pendues à l'aide de « tuck tape » pour créer des zones dites « neutres », c'est à dire non contaminées. Faible barrière : des résidents confus les ont déjà traversées et contaminées.

À l'heure du lunch, on m’a fait parvenir mon dîner depuis la cafétéria, en passant par la zone contaminée, avec des gants et jaquettes souillées. Le plateau a été déposé sur le frigo, juste en dessous d'un grand ventilateur, pendant que je faisais manger les résidents.

Avant notre départ pour Montréal, nous avions admis et accepté qu'il était possible que nous soyons infectés pendant notre intervention. Rapidement, nous nous sommes rendus à l'évidence : les risques sont élevés de contracter la maladie.



Dimanche 26 avril

Ce matin, comme hier, à notre arrivée au centre, quelqu'un prend ma température : « Bip! »

Je lui demande : « Quelle est ma température? »

Il me répond : «  31,7 degrés »

Et j'entends Dominique dire : « Ça veut dire qu'il est mort! »


Hier, Monsieur D., résident à l'unité prothétique, déambulait normalement. Aujourd'hui, on doit l'aider pour ses déplacements. Il ne mange pas. Il pousse son plateau et dépose sa tête sur la table. Il respire difficilement. Il gémit. Nous devons le soutenir pour l'amener jusqu'à son lit. L'infirmière évalue son état et lui installe la lunette nasale pour lui fournir de l'oxygène. Deux heures plus tard, Dominique constate son décès. Que c'est rapide!


Réunion de fin de journée.

J'informe les responsables que le thermomètre qui sert à détecter les visiteurs fiévreux est défectueux. On m'informe que le problème est déjà connu mais on ne dispose d'aucun autre instrument pour le remplacer. « Back order ». Aucun correctif n'a été apporté par la suite et la situation était toujours la même le 7 mai, notre dernier jour travaillé.

Des aides de service soulèvent le problème qu'engendre le tabagisme. Des résidents, infectés ou non, circulent librement pour aller au fumoir, ne respectent pas (et n'ont pas conscience) des règles de distanciation sociale, manipulent entre eux mégots et cigarettes avant de les porter à leur bouche. Comme pour le thermomètre, le problème du tabagisme n'a pas trouvé de solution adéquate avant notre départ.

La propagation des infections est l'ennemi #1. La contamination s'étend. La maladie se propage.

Les mesures préventives ne sont pas connues de tous les travailleurs. Des aides de service sont envoyés dans la mêlée sans formation.

Plusieurs n'appliquent pas les mesures qui leur ont été enseignées. Certains sont négligents.

Les équipements que nous avons sont inadéquats.

Nous sommes dans un milieu multi-ethnique où certaines croyances sont plus fortes que les évidences scientifiques.



Lundi 27 avril

Bonne fête Dominique!

Mon travail se poursuit à l'unité prothétique et Dominique est assignée à un autre département. Notre journée se prolonge.

Madame S. a eu le même sort que Monsieur D., dans le mêmes circonstances. Que c'est rapide!


Réunion de fin de journée.

Je pense qu'il est mieux de ne pas poser de questions...



Mercredi 29 avril et jeudi 30 avril

Il y a deux jours, on a installé à Madame C. sa lunette nasale. On lui administre les soins de confort. Elle vient de partir, elle aussi.

Une organisation qui a été graduellement désorganisée et mise en échec ne peut pas trouver à court terme, avec ses mêmes ressources, connaissances et compétences, une solution pour s'en sortir. Tous ceux que je côtoie à chaque jour font leur possible mais la tragédie est graduelle et inévitable.


Madame D. est toute menue, souriante. Elle a plein d'histoires à raconter mais je n'y comprend rien. Elle parle italien! Quelques fois elle me prend la main et me fait visiter les corridors. On s'attarde aux chambres, elle ouvre une porte, entre et sort... On continue...

Ce matin, on a déménagé un homme d'une autre unité et on l'a été installé dans une des chambres qui ont été « libérées ». Il n'est pas atteint du coronavirus et pourtant on l'amène dans une zone contaminée. Monsieur D. est en fin de vie et on a souhaité qu'il finisse ses jours dans la même unité que sa femme. Je poursuis ma promenade avec Mme D. Il faut garder la forme! Un coup d'oeil par-ci, par-là. On jase, on rit. Elle s'arrête devant la porte du monsieur; elle fait quelques commentaires en riant. Nous continuons notre chemin.

Quelques heures plus tard, lors d'une autre promenade, j'insiste un peu pour qu'elle entre dans la chambre du Monsieur. Elle s'approche du lit, lui borde les jambes, enveloppe ses pieds. Il lui dit quelques mots, lentement, faiblement. Je vois sur le visage de la vieille dame une illumination. Elle lui répond. Elle passe sa main sur le visage de son homme et lui dépose un tendre baiser sur le front. Le dernier baiser.



Vendredi 1er mai

Relâche



Samedi 2 mai et dimanche 3 mai

Le personnel soignant commence à manquer. Plusieurs sont malades, d'autres ne veulent plus rentrer au travail malgré les menaces de sanctions disciplinaires. Certains ont simplement donné leur démission. On fait appel aux agences pour combler les besoins. La tension monte, particulièrement aux changements de quarts où les menaces de défection se multiplient.

Tous les résidents et particulièrement ceux qui ont survécu à la maladie, ont été affaiblis. Ils sont de plus en plus désorganisés. Ils sont devenus moins ambulants, demandent de l'assistance lors des repas, du coucher. Certains deviennent incontinents, plus confus, etc... Les effectifs normaux qui étaient adéquats avant la pandémie ne suffisent plus. Et pour compliquer la situation, le personnel change de plus en plus et les équipes se désorganisent. La stabilité du personnel permettait de connaître les besoins et les habitudes de chaque résident. Maintenant, on n'est même plus en mesure de dire si l'hydratation et la nutrition de chacun est adéquate. Au jour-le-jour, le mince fil qui donne de la dignité à une relation nous glisse entre les doigts.

La stratégie qui a été développée par l'organisation pour faire face à la pandémie est d'employer le plus possible d'aides de service. C'est le travail que nous faisons Dominique et moi. Cette définition de tâche a été développée au cours de la dernière année, juste avant la pandémie, pour compenser le manque de préposés aux bénéficiaires. La formation d'un aide de service est minimale et son rôle est d'assister les préposés et les autres membres soignants. Ils ne peuvent pas exécuter seuls les tâches des préposés. L'évidence, dès notre première journée, était que les nouveaux employés dépendent entièrement du personnel régulier et que nous ne pouvons pas être autonomes. Nous ne savons pas où se trouvent les clés, où jeter ceci, où prendre cela, à qui s'adresser pour... Au fil des jours, les rôles se sont inversés. Au fur et à mesure de la désorganisation, des nombreux départs, ce sont les nouveaux qui fournissent les informations, bien souvent fragmentaires, aux nouvelles équipes pour subvenir aux besoins essentiels et parfois vitaux des bénéficiaires.



Mardi 5 mai

En belles lettres multicolores, on voit dans une fenêtre, à l'entrée du CHSLD :

« TOUT VA BIEN! »

C'est certain que ça va bien! Hier, il y a eu 6 décès! Les services funéraires nous ont dit qu'ils ne se déplaçaient plus pour une seule dépouille. En faisant 3 groupes de 2, c'est vrai que ça va bien mieux!

Madame JS est morte en laissant tomber son iPad; elle était en ligne avec son fils. Comment aurait-on pu imaginer ça il y a à peine 2 mois?

Plus de la moitié des résidents sont COVID+ mais que veux dire ce 53%? On ne teste que les personnes qui présentent des symptômes. De plus, les risques de faux négatifs sont élevés parce que les personnes âgées ne collaborent pas bien lors du prélèvement. Quel est le vrai % de gens infectés dans l'établissement? On a donc défini une nouvelle couleur de zone: « orange ». Ce sont les « peut-être »...

Ceux qui dirigent le centre croient ou essaient de nous faire croire qu'ils contrôlent la situation. Ça ne prend pas un oeil très avisé pour comprendre qu'on est en chute libre. Absentéisme, démissions, tensions. Et pourtant, on ne veut pas lever le drapeau blanc même si plusieurs le suggèrent.

À défaut de contrôler l'essentiel, on contrôle ce qu'on peut : les apparences.

Par exemple, les employés doivent faire des démarches pour obtenir un coupon qui leur permet d'avoir un repas à la cafétéria. Qui sait? Tous les restaurants étant fermés, il faut se méfier des citoyens qui veulent se payer un gueuleton gratis dans un CHSLD infecté!

On contrôle les stationnements. On m'a indiqué que ma voiture ne devrait pas se retrouver dans le P2 mais dans le P4. Mais tous les stationnements sont pratiquement vide actuellement!

On contrôle la paperasse. On rédige des audit, d'autres audits...

On contrôle les apparences. On continue de vérifier la température des gens à l'entrée avec le même thermomètre défectueux que la semaine dernière. Ce matin, Dominique faisait 32,7 degrés. J'ai indiqué au préposé que si sa température était si élevée, c'est qu'elle avait mis le banc chauffant dans la voiture!

Quelle aura été notre contribution jusqu'à maintenant? Soulager la souffrance des résidents ou l'étirer?

C'est une terrible maladie pour nos aînés.


À la fin de la réunion de fin de journée, je rencontre le responsable et lui confie que j'ai des symptômes compatibles avec la COVID 19. Il me répond que ça doit être de la fatigue. Je sais qu'il sait et il sait que je sais. C'est simple comme ça.



Mercredi 6 mai

Il y a des rumeurs qui voyagent, qui se propagent comme une onde, comme un courant d'air dans les corridors.

Il est 13h30, Monsieur H. est dans son lit. Il va y rester. En plus de la maladie d'Alzheimer qui l'a déconnecté de la réalité, il a fait un AVC il y a 4 jours, le laissant spastique et recroquevillé sur le côté droit.

Une rumeur se répand.

« Ramassez ceci, cela! »

« Remplissez les pompes à savon et à désinfectant! »

Ce qui traîne sur le frigo depuis 2 semaines disparaît dans le premier tiroir à porté de la main. Le frigo est réaménagé.

« La culotte d'incontinence de Madame L. a-t-elle été changée? »

« Et le lit de Monsieur H.? »

«  Non! »

« Ça, il ne faut pas que ça soit accessible aux résidents, mets-le ailleurs! »

Et Monsieur H. dans tout ça? On le décolle des draps, on le déplie, on l'étire, on le borde et on fixe au drap, près de sa main inerte, le bouton d'appel d'urgence!

Que se passe-t-il pour qu'on s'affaire ainsi? Il semble que le comité qui accrédite annuellement les CHSLD doit passer faire son inspection cet après-midi.


De toute évidence, la situation est hors de contrôle.  C'est du "n'importe quoi". Les renseignements qu'on nous donne sont contradictoires et quelques fois étranges. Par exemple, je travaille dans une zone rouge où tous les résidents ont été infectés. L'un d'entre eux a eu un test de COVID négatif hier; il est question qu'on le déménage en zone froide, non contaminée.

Nous sommes assez près de la cellule de crise pour savoir que certains responsables de l'établissement commencent à envisager de demander l'intervention de la Croix Rouge. Une rumeur? On continue à miser sur l'engagement d'aides de service supplémentaires. On s'accroche définitivement à cette corde pour sortir de la crise.

En fin d'après-midi, un homme et une femme entrent à l'unité prothétique. Ils manipulent un chariot contenant de grosses bonbonnes, lesquelles sont connectées à une buse. Ils commencent à fumiger le corridor en notre présence. J'interviens et demande des précisions. Ils me disent que c'est pour décontaminer les locaux. Je leur fais remarquer que le personnel et les résidents sont tous présents. On m'assure qu'il y a plein d'études qui démontrent que ce n'est pas dangereux. Ils portent des combinaisons étanches intégrales, des chaussons, des gants, des lunettes protectrices en plus d'une visière et une masque à deux unités filtrantes latérales. Ça m'a beaucoup rassuré! J'ai quitté. Le produit utilisé - indiqué sur les réservoirs -  est de l'Oxivir, du peroxyde d'hydrogène activé. Voici le résultat de mes recherches et des informations que j'ai obtenues d'un spécialiste en la matière. Utilisé adéquatement, l'Oxivir est sécuritaire car après son action antiseptique, le peroxyde se dégrade. Pendant la vaporisation, les personnes exposées doivent être protégées (comme les opérateurs que j'ai décrits). Après la séance de désinfection, une ventilation normale doit permettre l'élimination de cette substance avant de réintégrer les personnes.

Pourquoi l'unité 4C a bénéficié d'une séance complète de fumigation à l'Oxivir, en présence du personnel soignant et de tous les résidents? Plusieurs ont toussé, ont eu la gorge irritée. Il y a quelques jours, le président Trump suggérait de faire entrer du désinfectant dans le corps des gens pour les guérir. Ah bon!!!

Bref, à ce moment-ci, je commençais à me demander si je n'étais pas entré dans un édifice en train de brûler.


Réunion de fin de journée.

La visite de cet après-midi, qui a causé tant de panique, ce n'était pas pour l'agrégation annuelle. C'était l'équipe ministérielle mise sur pied par la ministre McCann pour évaluer les besoins spécifiques des CHSLD touchés par la pandémie. Par cette mise en scène, en masquant la réalité, on s'est donc tiré dans le pied!

Ça valait la peine d'assister à la réunion de fin de journée pour entendre, de la bouche du responsable, que : « compte-tenu des problèmes actuels, il ne pense pas qu'on va se faire taper sur les doigts ». Quelle culture d'entreprise! Les problèmes des dernières semaines ont pris naissance dans cette culture organisationnelle de contrôle interne, de dissimulation, de déresponsabilisation, de paliers hiérarchiques étanches.

Jadis, à un âge où j'étais particulièrement turbulent, ma mère disait qu'elle allait m'amener à l'asile. Je comprenais vaguement que c'était un lieu où on s'occupait des gens un peu bizarres. Aujourd'hui, j'ai appris que c'était peut-être ça l'asile...



Jeudi 7 mai

Dernière journée de travail.

En arrivant ce matin, Monsieur H., paralysé et dans un état de conscience quasi végétatif, était toujours soudé dans la même position que la veille. J'ai demandé s'il avait actionné le bouton d'urgence qu'on avait clippé près de sa main lors de l'opération « dissimulation » de la veille.

La réponse : « Non. »

J'ai répondu : « Vous voyez, s'il n'a pas appuyé sur le bouton, ça veut dire qu'il va mieux! »

Pour ajouter à la confusion, j'observe qu'un infirmier d'une agence (non familier avec les pratiques courantes) quitte la zone « COVID rouge » en disposant de sa jaquette contaminée dans le sac des jaquettes propres. Rendu là, ça n'a plus d'importance.


Réunion de fin de journée.

Pour nous manifester sa reconnaissance, le responsable nous donne une chaleureuse accolade. Le lendemain, il teste positif, moi aussi.

Ça va bien aller!



Vendredi 8 mai

Retour à Lévis



Dimanche 17 mai

Nous avons tous les deux été malades.

La décision que nous avons prise d'aller aider dans un CHSLD infecté comportait des risques. Dès les deux premiers jours, nous avions la confirmation que nous étions montés à bord d'un bateau sans capitaine. C'est probablement par orgueil que nous avons cru que nos formations de dentiste et de médecin pouvaient faire une différence. Nos connaissances des mesures de prévention des infections ne pouvaient pas remplacer les équipements inadéquats et les comportements négligents. Nous étions exposés de toutes parts. C'est probablement aussi par orgueil que nous avons considéré que le risque était moindre pour deux personnes de plus de 60 ans parce que nous étions en santé et en forme. Avant-hier, quand Dominique a pris mes signes vitaux, j'ai vu l'inquiétude dans son regard et ça m'a ramené à cette réalité de mes 62 ans.

Si l'intention dans une action est plus importante que le résultat, le bilan est donc positif.

Je voudrais tous vous remercier sincèrement pour les encouragements, la bouffe, les gâteries, les courses, conseils, expertises, etc...

C'est ce qui nous a permis de réaliser ce nouveau travail auquel nous étions mal préparés.

C'est ce qui nous a permis de nous remettre de ce minable virus.

Merci du fond du cœur,

Richard et Dominique