La Tanzanie, 2016


"De plus en plus de gens aujourd’hui ont de quoi vivre mais ne savent pas pourquoi ils vivent."

Viktor Frankl


11 juillet 2016

Même s’il n’est que 22h00, la nuit est déjà bien installée, sombre, avec seulement un croissant de lune voilé par les nuages. Nous sentons l’avion descendre sur une terre sans lumière. Le scintillement des grands ventilateurs blancs de l’aérogare, dans la lumière bleutée des néons, m’hypnotise après plus de 24 heures de voyage. Les formalités sont simples et Nicholaus nous reçoit. Son sourire et sa présence nous accueillent dans son pays et nous apaisent de cette longue route.

Bienvenue en Tanzanie!

Une cinquantaine de kilomètres nous sépare de Moshi. Même si les fenêtres laissent entrer l’air frais et humide de la nuit, les yeux peinent à rester ouverts. Les phares aveuglants de ceux qui croisent me ramènent à cette route de campagne qui semble mener vers nulle part mais qui finit vers la main tendue de Sister Rosa qui nous accueille pour la nuit.

Je replie le filet au dessus de mon lit pour faire taire les moustiques et c’est à mon tour de m’envoler pour la nuit. Merci la vie de m’avoir mené jusqu’ici…


13 juillet

La nuit surprend encore, si tôt! Il est temps de passer à table. La petite ampoule suspendue au plafond du réfectoire nous permet à peine de voir les traits des religieuses qui récitent le bénédicité. Nous sommes réunis, nous faisons partie de la même humanité.

Sister Rosa nous demande comment a été notre journée...

Après une heure de route cahoteuse sur le flanc sud du Kilimandjaro, nous traversons une magnifique forêt qui se resserre au dessus du chemin. Nous débouchons à près de 1500 mètres d'altitude sur une large terrasse, face à une immense église de pierre sombre, remarquable par ses deux clochers massifs. Plusieurs bâtiments, en retrait sur la gauche, forment l'hôpital de Kibosho.



Des patients attendent aux portes, certains s'affairent, d'autres en uniformes bleus passent, paisiblement. Le lieu est étonnamment calme. La nature respire et enveloppe cette petite vie humaine.



Dr Francis Roman reçoit ceux qui ont besoin de soins dentaires. Il nous fait voir ses installations, les salles opératoires, de stérilisation, de radiographie, le laboratoire dentaire où les prothèses sont confectionnées.

Tout est étonnamment bien rangé et malgré les quelques égratignures qui trahissent l'âge de certains équipement, la propreté et une organisation exemplaire sont de mise.

Il nous présente les statistiques de sa pratique et des photos de cas cliniques. Il est passionné, organisé, efficace. Nous sommes étonnés de la qualité de ce qu'il nous montre, particulièrement des facettes qu'il fait pour sauver des sourires ruinés par les taches brunes et les déformations des dents causées par la présence abondante de fluorure dans l’eau.

Félicitations Dr Roman pour votre compétence et votre dévouement! 

Merci!




17 juillet

Nous sommes venus en Tanzanie pour comprendre le plus précisément possible le fonctionnement du système de santé, les objectifs et stratégies du pays et pour découvrir les besoins de la population et des thérapeutes en santé buccale. Nous ne sommes pas débarqués avec nos équipements pour traiter les gens à leur place. Nous savons que ce modèle d'intervention est peu efficace à long terme et qu'il établit un lien de dépendance. Également, il a été démontré que cette forme d'aide laisse aux professionnels en place le sentiment d'être inadéquat ou, dans certains cas (et ceci a été bien documenté en Afrique sub-saharienne) les incite à quitter le pays pour réaliser leurs rêves de carrière*. Le Dr Quaker nous a même confirmé que les patients, notamment dans la petite ville d'Usangi, attendent le retour du personnel dentaire étranger pour se faire traiter, même si les soins sont accessibles localement en tout temps. 

*En février dernier, alors que nous étions à l'Angkor Hospital for Children de Siem Reap, au Cambodge, nous avons demandé au dentiste responsable de la clinique de nous dire ce dont elle avait besoin et ce qu'elle attendait de nous. Elle nous a répondu qu'elle aimerait partir avec nous au Canada, notamment pour pratiquer dans le domaine des implants dentaires. 

Les installations de la clinique du Dr Quaker à l'hôpital gouvernemental de Mawenzi de la ville de Moshi, lequel est un hôpital régional « Referral Hospital » ne sont pas aussi complètes que ce que nous avons vu chez le Dr Roman à l'hôpital de Kibosho, même si ce dernier établissement n'a pas le statut d'hopital régional de référence.

Sur les quatre salles disponibles, seulement deux sont fonctionnelles.




On se "débrouille" pour les deux autres salles.




Le manque d'équipement, de matériel et de fourniture dentaire est évident et le Dr Quaker doit faire face à des pénuries, délais administratifs excessifs et sous-financement constant. L'amalgamateur, appareil essentiel dans une clinique dentaire, qui sert à faire préparer les obturations dentaires (amalgame et autres), n'est plus en état de marche.



De toute évidence, il a bien mérité sa retraite!


18 juillet

Au fil des jours, mon pas ralentit. Il se dépose sur l'Afrique je crois. J'y arrive. Le temps coule lentement. Les choses arrivent comme elles doivent mais rien ne sert d'anticiper, de s'impatienter, ça va arriver. Le ciel est couvert, souvent sombre. Cela contribue probablement à laisser le temps passer. L'air tiède ne bouge à peu près pas. La poussière ocre reste suspendue. On se croirait bercé par une gymnopédie de Satie. 

Nicholaus viendra nous chercher dans quelques instants pour nous mener en montagne, à Usangi. Fini la ville! Nous serons au cœur de notre mission, cette petite ville que les équipes de Terre sans Frontières ont déjà visitée. Dr Quaker nous a dit qu'il y a maintenant là-haut, à l'hôpital, du personnel dentaire en permanence, des équipements... On verra, on vivra.

Depuis la plaine, parsemée de baobabs, nous prenons la route de la montagne. La chaussée est bonne, ça et là parsemée de roches qui se sont détachées des parois. Courbes après courbes, la forêt prend sa place. Fin du bitume, cahots, ornières et cette poussière, omniprésente, qui recouvre le feuillage. Voitures, motos, piétons, fardiers se frôlent et se confondent en un subtil ballet.

Nous débouchons sur un replat habité. Ça se peut que ce soit ça le bout du monde, juste de notre monde!




19 juillet

Le vent a porté l'annonce de notre arrivée par delà les sentiers poussiéreux et les bosquets. Les Canadiens (les blancs) étaient attendus. On en parlait déjà. Ils sont même l’objet d'une promesse électorale! On se rappelle de leurs précédentes visites. On se rappelle non seulement de leurs compétences mais de leurs qualités de cœur et des liens qu'ils ont su tisser. 

À notre arrivée à l'hôpital d'Usangi, une mère et sa petite fille attendent à la porte de la clinique. Notre présence à elle seule la rassure. Et pourtant, je ne peux rien faire pour ce type de lésion complexe. 

Je rêve du jour où ils n'auront plus besoin de ma présence. 

Ce jour viendra.

 

20 juillet 

Je ne suis pas débarqué en Afrique pour faire la charité. J'espère simplement devenir citoyen du monde. Mon ami Nicholaus me donnera probablement cette chance, ce privilège. J'aimerais un jour avoir le même passeport que lui... 

Merci Nicholaus! Tu es de ceux capable d'extraire le meilleur du coeur des hommes. 

Nous avons parcouru aujourd'hui plusieurs kilomètres de piste poussiéreuse. Le précipice est toujours proche et Nicholaus est attentif, surtout quand nous croisons les camions et les autobus. Il modère sa vitesse, klaxonne aux bons endroits, laisse passer les plus pressés, se range lors des croisements. Au bon moment, il entend un subtil grincement et décide de se ranger. L'huile de la direction se répand sur la terre rouge. Quelques instants de plus, la panne du système aurait été complète et Nicholaus aurait probablement eu beaucoup de peine à garder le contrôle du camion. Pas de filet, pas de garde-fou.



Merci la vie! Merci Nicholaus!

Quelqu'un qui passait par là nous a fait monter, Mylène et moi, et nous avons finalement atteint Kifula. Terminus, cul de sac. Nous avons visité la petite clinique dentaire.



22 juillet

La voix du muezzin appelle à la prière. Les portes de bois grincement et des pas glissent sur le parquet. C'est l'heure des ablutions. Le silence de la nuit reprend sa place puis les oiseaux saluent l'aurore. Le coq insiste. Les premiers passants discutent, les moteurs finissent de réveiller ceux qui somnolent. 

Ici, Musulmans et Catholiques se côtoient en paix, avec le plus grand respect. On est bien loin de cette haine qui se répand en Afrique. 

Aujourd'hui, nous quitterons la montagne. Repos bien mérité, un peu de confort, une bonne douche… 


23 juillet 

What is the difference between charity  and  sharity? 


28 juillet 

La nuit est noire et j'aperçois quelques étoiles par la fenêtre, celles qu'on ne voit pas chez nous. La lourde couverture me tient au chaud. Bien à l'abri des moustiques, j'ai calé les écouteurs dans mes oreilles et j'écoute Karkwa. En Afrique, ça devient exotique!

Je pense aux deux derniers jours.

Nous n'aurions pas pu espérer des échanges si profitables avec les professionnels de la santé puis avec les enseignants. On s'est atteint, on s'est rejoint, on s'est touché. J'ai la certitude que seulement une partie de nous repartira dans une semaine. La graine est semée dans une terre fertile.



Merci la vie! Mission accomplie!


29 juillet

Développement et paix 

Ce que j'observe ici donne espoir. Hier, nous avons visité l'école primaire d'Usangi. Qu'ils soient catholiques ou musulmans, les professeurs et les étudiants se côtoient sans distinction si ce n'est que les femmes et les petites filles musulmanes se couvrent la tête.



Nicholaus nous a affirmé qu'il n'existe aucun problème relié à la religion, à sa pratique, ses rituels et aux signes représentatifs.

J'espère que cette communauté restaura en dehors des conflits et des influences qui exacerbent les différences et qui poussent l'intolérance jusqu'à la folie.



1ier août

Avant de rentrer chez moi, je tiens à remercier tout d'abord Terre sans frontières et particulièrement ceux qui ont organisé la mission : 

Merci Petain pour ton implication.

Merci Catherine pour ton extraordinaire organisation, ta rigueur et ton efficacité.

Merci Nicholaus pour avoir guidé nos pas, pour nous avoir traduit non seulement les mots mais l'intention de ton peuple. Merci d'avoir pris soin de nous comme si nous étions tes enfants.

Merci Mylène pour ton pouvoir d'attraction qui nous ouvrait bien souvent les portes. Sans toi, bien des choses nous auraient échappées.



Merci à Dominique qui est restée à la maison. Je sais (grande voyageuse) que tu aurais aimé visiter la Tanzanie. D'autres avaient besoin de toi, en particulier ta sœur.

Je pense aussi à tous mes amis qui m'offriront un bon verre de rouge au retour...

Merci à l’avance!


Asante sana!